PEUT-ON ENCORE CONSIDERER QU’UNE BAISSE DE PRIX CA N’A PAS DE PRIX ?


Ça ne vous aura pas échappé, nous assistons à une mobilisation générale sur le pouvoir d’achat. Une mobilisation qui, si on se réfère à l’accumulation d’offres en tout genre et leur discours « rassurant », donne parfois le sentiment qu’un vent de panique souffle chez certains distributeurs.

Comme toujours, dans ses moments de fragilité, les grands ingénieurs de la promo sont de sortis, poussés par des études comme celle de Tiendo . Elles les confortent dans l’idée que les promotions sont LA solution pour influencer le choix du magasin et des marques…

Et comme toujours, on voit fleurir des propositions un brin acidulées, empreintes d’une certaine complexité et aux modalités souvent contraignantes. Des offres qui oublient parfois que le consommateur n’est pas dupe et qu’il sait que tous les acteurs évoluent dans le même système de contraintes. Des mécaniques qui font fi de cette règle évidente qui veut que, dans les périodes les plus complexes, ce sont les propositions les plus simples, les plus immédiates dans la délivrance d’un bénéfice et les plus transversales qui raflent la mise.

Seulement voilà, si les distributeurs font tout cela, c’est parce qu’ils savent que 85% des Français sont inquiets pour leur pouvoir d’achat et que 30% ne s’en sortent plus. Ils constatent que le contexte est favorable au modèle discount et à des enseignes comme ALDI. Ils voient bien que le besoin d’un prix bas tout de suite prend le pas sur la promesse d’économies pour demain. Ils ressentent l’extrême sensibilité du consommateur au « prix payé ». Et ils n’hésitent plus, à l’instar de Leclerc, à frapper d’interdiction de fréquentation de leurs magasins, les plateformes de service comme Everly; les 5 à 10 % qui finance leur service pouvant écorner leur image prix.

Mais est ce que toute cette agitation promotionnelle, aussi utile soit-elle, va suffire ? Est-ce que ces recettes qui ressemblent furieusement pour certaines, à celles dégainées au moment de la crise de 2008, sont à la hauteur de la situation ? Peut-on raisonnablement penser qu’à une époque où la promo est permanente, elle va être la solution dans ce contexte exceptionnel ? Peut-on encore considérer qu’en matière de baisse de prix « c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes » ?

2022 N’EST PAS 2008

Force est de constater que cette crise de 2022 est d’une ampleur exceptionnelle. Elle n’est pas qu’économique. Elle est aussi environnementale et se triple d’une crise de valeurs. Nous vivons clairement un momentum global qui pousse tout un chacun à requestionner drastiquement sa consommation.

Et déjà des solutions bien plus radicales que des promesses d’économies cagnottées ou des baisses de prix ciblées s’imposent. La seconde main, l’abonnement, le vrac, la réparation… sont moins l’expression d’une consommation empreinte de convictions personnelles que des réponses aux tensions sur le pouvoir d’achat.

Même les industriels s’y mettent en revoyant leur conditionnement. La shrinkflation, cette technique qui consiste à diminuer la quantité d’un produit sans en changer le prix, aussi discutable soit-elle quand elle n’est pas avouée, est devenue monnaie courante. Certes les consommateurs sont nombreux à s’en plaindre d’après une étude de l’ONG Foodwatch. Mais concrètement elle permet d’agir sur le ticket de caisse et, à bien y regarder, elle peut indirectement contribuer à moins de gaspillage et une réduction des emballages.

LE CONSOMMATEUR DEVIENT DISTRIBUTEUR

Le consommateur n’est pas en mal d’ingéniosité pour aller au-delà d’une agitation promotionnelle qui ne lui suffit plus. Il invente de nouvelles voies pour se donner de nouvelles marges de manœuvre. Il veut de plus en plus utiliser sans acheter. Il ne veut plus simplement être le « payeur » et se voit de plus en plus en « vendeur ». Il ne veut plus être tributaire d’une augmentation de salaire à venir ou d’une promesse de prix bas pour se donner le droit de consommer. Il élargit ses sources de revenus. Il vend directement. Il revend avant d’acheter. Il achète pour spéculer (resell économy). Il est un jour consommateur, un autre distributeur, d’abord utilisateur et de plus en plus souvent intermédiaire. Et il se voit même en livreur en adhérent à des plateformes collaboratives de livraison entre particuliers comme yper, Shopopop, AlloVoisins… qui lui permettent de « rentabiliser » ses propres courses.

Bref, il profite des promotions car elle lui sont indispensables. Mais il n’attend plus le bon vouloir d’un bouclier anti-inflation ou la prochaine mécanique promotionnelle qui va lui promettre… de continuer à vivre.

Il prend son destin en main. Il crée ses propres places de marché, sa propre économie parallèle. Il contourne les circuits classiques qui ne savent plus toujours répondre à ses réalités. Il invente et ce faisant, prend de court les distributeurs.

Dans ce contexte, « l’activisme » promotionnelle, aussi inventif soit-il, semble presque en décalage avec le niveau des attendus et des besoins. Directement ou indirectement, il participe au développement d’un nouveau courant de désintermédiation de la distribution. Un phénomène qui voit les industriels imposer leurs contributions aux enseignes et les consommateurs se prendre pour des distributeurs.

La ré-intermédiation de son activité s’impose déjà comme une nouvelle priorité pour la distribution. Une de plus ! Une ré-intermédiation qui ne doit plus simplement s’envisager entre industriels et consommateurs mais également s’immiscer entre les consommateurs. Une ré-intermédiation qui passera sans doute par une accélération du rôle joué par les distributeurs dans ces nouvelles formes de redistribution du pouvoir d’achat.