LA CONSOMMATION SE TOURNE VERS L’ESSENTIEL


Souvenez-vous, 1989, le hard-discount accélère dans l’hexagone avec l’arrivée des grandes enseignes allemandes. Les tensions sur le pouvoir d’achat s’intensifient mais le consommateur veut consommer toujours plus. La solution : Lidl, Leader Price, Ed, Aldi, Netto qui connaissent une croissance rapide car de plus en plus de Français se mettent à acheter selon un seul critère : le prix.  

Et puis il y a la loi Dutreil qui vient modifier la loi Galland en 2006. Désormais, les distributeurs traditionnels, Leclerc en tête, reviennent très forts dans la course aux prix, notamment en développant leurs marques propres mais surtout en profitant des marges arrières. C’est aussi à peu près à cette période qu’Auchan accélère sur son concept Selfdicount. Bilan, ça ne va plus très bien pour le hard-discount même quand la crise de 2008 pointe son nez.

MOINS MAIS MIEUX

Pour Lidl alors, une évidence : il est temps de sortir du hard discount et repenser son modèle. « Il faut que les clients viennent parce qu’ils aiment notre marque et parce qu’ils prennent du plaisir à faire leurs courses chez nous. Nous pouvons devenir la marque en vogue et le magasin tendance » déclare Friedrich Fuchs lors de la grande Convention « Pôle Position » de 2012.

Et deux ans plus tard, après des investissements colossaux, les premiers résultats arrivent, installant une dynamique qui se poursuit aujourd’hui encore.

Mais ce serait un peu rapide et même injuste de croire que ce bouleversement n’est que le résultat d’un changement de modèle et d’énormes investissements. C’est beaucoup plus profond que cela. Car ce qu’a compris Lidl avant tout le monde, c’est que le consommateur était en train de réaliser ou plutôt de constater qu’il n’allait pas pouvoir continuer à consommer toujours plus… même à bas prix. Il avait pris conscience qu’il devait faire des choix. Et puisqu’il n’avait plus vraiment les moyens de remplir son caddie comme avant, autant opter pour moins mais mieux.

Lidl a ainsi été le premier, en pleine guerre des prix et en pleine période d’accélération de la pression promotionnelle, à se positionner sur « le rapport qualité/prix ». Le vrai prix des bonnes choses, ça ne voulait pas dire « prix sacrifié », ça ne voulait pas dire premier prix. Ça promettait de la qualité à prix juste. À un moment où la communication « prix » de ses concurrents ne visait que des objectifs de pouvoir d’achat, Lidl a compris avant tout le monde que les consommateurs ne cherchaient pas à consommer toujours plus, mais à consommer mieux. 

Il faudra 5 ans à ses concurrents pour entériner ce changement. Ce n’est en effet qu’en 2017 que le film « l’amour l’amour » d’Intermarché arrive en TV avec cette déclaration : « Nous sommes producteurs et commerçants pour vous aider à manger un peu mieux tous les jours. ». Et ce n’est qu’en 2018 qu’Act For Food « le programme mondial d’actions concrètes pour mieux manger » de Carrefour arrive dans la bataille. C’est aussi à cette époque quAuchan, déclare que le « Mieux Manger » et le « Mieux Vivre » sont ses territoires de suprématie. Finalement la seule enseigne avec Lidl qui a compris ce passage du « toujours plus » au « toujours mieux » c’est U avec son engagement pour une consommation plus responsable : « Le commerce qui profite à tous ».

DU « CONSOMMER MIEUX » AU « CONSOMMER ESSENTIEL »

Et nous voilà en 2021, la crise sanitaire vient exacerber une crise déjà bien présente comme l’a révélé le mouvement des gilets jaunes. Après de longues années d’oubli, les entrées de gamme connaissent un regain de forme et les premiers prix reviennent sur le devant de la scène. Les MDD économiques ont le vent dans le dos.

Est-ce la fin du « consommer mieux » et le début du « consommer moins » ? Pas vraiment !

Car ce à quoi on assiste en ce moment, c’est plutôt à l’avènement de nouveaux arbitrages de consommation.

D’un côté, des produits qui nous sont « essentiels », n’ont pas parce qu’ils nous sont vitales, mais parce qu’ils ont du sens à nos yeux. Des produits sur lesquels nous ne voulons pas transiger sur la qualité, sur l’origine, sur les conditions de fabrication… 

De l’autre, des produits sur lesquels nous sommes prêts à quelques petits renoncements car il faut bien financer les premiers.

Il est donc probable que notre consommation va de plus en plus être empreinte d’un sens personnel qui déterminera nos priorités. Et le phénomène risque de s’accélérer dans les toutes prochaines semaines avec la réouverture de toutes ces activités qui nous manquent tant. Car si en période de crise sanitaire, on a consommé là où on pouvait, en période de post confinement on va pouvoir dépenser là où on ne l’a pas fait depuis trop longtemps.

Attention donc à ces bons résultats que certains secteurs tiennent pour acquis. La période qui suit risque d’accélérer une redistribution des cartes comme jamais, car l’essentiel n’est plus ce qu’il était.